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Presse

Article de Montagnes Magazine

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Retrouvez DirectMountain dans cet article du mensuel Montagnes Magazine (édition de février-mars 2017) consacré au métier de guide face à internet :

Le métier de guide face au tout internet

par Guillaume Goutte

En quelques mois, les sites Kazaden et Direct Mountain sont venus bousculer le milieu professionnel des activités outdoor en France. Mais si certains saluent des initiatives qui permettent de clarifier l'offre et de donner une visibilité 2.0 à des professionnels parfois absents de la Toile, d'autres dénoncent une uberisation et craignent, à terme, une précarisation encore plus forte. Alors, modèle économique en rupture ou adaptation aux habitudes de consommation ? Montagnes Magazine est parti enquêter auprès de ces nouveaux acteurs, des guides de montagne et de leurs syndicats.
 

Apparus sur la Toile respectivement en novembre 2015 et en juin 2016, les sites Kazaden et Direct Mountain répondent à un concept simple : proposer sur Internet une plate-forme qui, moyennant une commission, met en relation des professionnels du sport outdoor et les particuliers qui, pour découvrir, s'initier ou se perfectionner dans une discipline, recherchent un encadrant. Si Kazaden ambitionne de couvrir l'ensemble des activités outdoor (de l'alpinisme à la voile), Direct Mountain se concentre, lui, sur le seul secteur des sports de montagne.

Gain de temps pour les clients, visibilité pour les guides

C'est l'envie de combler un vide qui, à l'origine, a motivé la création de ces plateformes. Sylvain Hortoland, fondateur de Direct Mountain, explique que l'idée lui est venue « en discutant avec un ami qui cherchait un guide sur Internet pour effectuer un stage de cascade de glace. Il avait du mal à trouver des offres, à pouvoir les comparer et, surtout, il y passait beaucoup trop de temps à son goût. » Du côté de Kazaden, on évoque « la multitude de sites prestataires », lesquels « proposent des prestations de qualité, mais souvent présentées de façon très hétérogène », ce qui rendrait la comparaison des offres et la réservation pas « toujours aisées. » Mais au-delà d'une simple clarification de l'offre et d'un gain de temps dans les réservations, les plates-formes pointent aussi d'autres avantages pour les clients. « Le client est aujourd'hui séduit par les garanties que nous lui apportons », avance Kazaden. « A savoir, notamment : un professionnel de qualité, diplômé et assuré ; un service client spécialisé qui peut l'accompagner dans sa démarche. » Sylvain Hortoland, lui, met en avant une plate-forme conçue comme « un annuaire des professionnels, incluant les commentaires d'autres clients », qui permet « d'avoir les coordonnées des pros et [de] traiter directement avec eux, sans intermédiaire ». Des pros que, chez Kazaden, l'on dit démarcher avec exigence : « Nous nous assurons de la validité de leurs diplômes et de leurs assurances. Notre démarchage repose principalement sur la recommandation. Lorsque nous manquons d'éléments sur le professionnel, nous regardons sa présence en ligne et notamment son e-réputation. Derrière nous appelons individuellement les clients pour obtenir des retours qualitatifs sur les sorties, ce qui nous permet de valider le pro en tant que partenaire de confiance. »

Pour leurs fondateurs, si ces plates-formes facilitent la vie des clients, elles seraient aussi une aubaine pour les professionnels eux-mêmes, lesquels sont loin d'être tous égaux devant la complexité de la gestion d'une présence sur Internet. Selon Kazaden, les guides gagneraient ainsi en visibilité, grâce à « des outils efficaces et intuitifs » qui leur permettent « de se présenter et de proposer des activités en ligne en quelques minutes », tout en laissant « le pro maître de son planning et de ses interactions avec le client. » A Direct Mountain, on vante une solution permettant aux guides « de booster leur activité en tant qu'indépendants », en leur offrant une présence sur la Toile « sans pour autant qu'ils aient à concevoir leur propre site ou à se préoccuper du référencement. » Du côté des guides, l'on reconnaît d'ailleurs cet avantage. Interrogé, un guide de haute montagne travaillant en Isère et inscrit sur Kazaden -mais qui souhaite garder l'anonymat- avance également que ces plates-formes, en lien avec les réseaux sociaux, permettent aux professionnels de toucher d'autres publics, en particulier « un public non montagnard, nouveau pour les guides. » Pour Nicolas, guide dans les Écrins, qui refuse néanmoins de s'inscrire sur l'une de ces plates-formes, Kazaden et Direct Mountain peuvent aussi offrir aux professionnels une « ouverture internationale », autrement pas toujours facile à construire. Même son de cloche du côté du Syndicat national des guides de montagne (SNGM), qui salue « une façon de trouver de nouveaux clients » et pointe une évolution logique à une époque où « la révolution digitale [...] va impacter toutes les activités humaines de façon croissante. »

Une crainte d'une précarisation de la profession

Pour autant, du côté des professionnels de la montagne, l'apparition de ces plates-formes ne fait pas non plus l'unanimité. Intéressé, le SNGM se montre néanmoins prudent face à ce qui est « à la fois une menace et une opportunité » pour les guides : « La digitalisation va se développer, nous explique son président, Christian Jacquier. Elle peut s'avérer un instrument complémentaire positif si les guides s'approprient cette technologie et en gardant la maîtrise. » La volonté d'appropriation de ces nouveautés par la profession s'est manifestée au SNGM par la mise en place d'un partenariat avec Kazaden, lorsque celui-ci s'est lancé en 2015. Un partenariat qui ne serait plus actif aujourd'hui, en raison de la grande diversification des activités proposées par cette plate-forme.

Du côté de Syndicat interprofessionnel de la montagne (SIM), on est, en revanche, beaucoup plus dubitatif. Son président, Yannick Vallençant, se dit même « critique voire franchement agacé. » « Je suis critique, nous explique-t-il, quand je vois l'aventure, la montagne et les guides vendus en ligne comme de simples produits de consommation. Je suis agacé par le marketing outrancier, voire mensonger, de certains de ces sites qui servent exactement le même storytelling. » Après avoir fait un test sur l'une des plates-formes [Note : ça n'est pas Direct Mountain ;-) ], il met aussi en cause l'idée selon laquelle les professionnels y seraient « triés sur le volet » et « tous sympathiques » : « lors du lancement de l'un de ces plates-formes, j'ai créé un profil de guide arrogant et antipathique au possible et proposant un programme d'ascension du Mont Blanc de luxe avec refuge privatif et descente en hélico gratuite au moindre signe de fatigue... Mon profil comme mon programme ont été mis en ligne sans aucune modification ! »

Nicolas, lui, craint de voir les tarifs des courses tirés vers le bas en cas de développement hégémonique de ces plates-formes : « Si les plates-formes restent peu développées et nombreuses, elles seront une corde de plus à l'arc du guide. Par contre, si elles devenaient incontournables pour les guides, on peut craindre une précarisation financière en raison de la mise en concurrence plus intense. Difficile de ne pas faire le parallèle avec d'autres secteurs où cette uberisation a sévi. » Cette crainte de voir les tarifs servir de variable d'ajustement est aussi évoquée par le président du SIM : « Pour être classé en tête du moteur de recherche, il faut faire du low cost, c'est le principal élément objectif de différenciation. C'est extrêmement pervers et suicidaire, à terme. »

Les animateurs des plates-formes, eux, nient toute volonté d'instaurer une concurrence. Sylvain Hortoland, de Direct Mountain, considère que, loin de précariser les guides, « le but est de développer leur activité en tant qu'indépendants. » Du côté de Kazaden, on explique que : « Plutôt que de proposer des offres qui se feraient compétition, nous engageons nos partenaires à proposer des formules alternatives à celles déjà présentes, en mettant en avant leurs spécificités. » Pour le guide de l'Isère inscrit sur Kazaden, « tant que les plates-formes n'imposeront pas leurs prix, les guides resteront libres d'appliquer leur tarif, encore plus qu'au sein d'un compagnie. »

Évaluer le guide au détriment de la sécurité ?

Autre pomme de discorde : la question de la sécurité des guides, comme des clients, lors des courses en montagne. Et, au centre de ces interrogations, une pratique : la possibilité de commenter la prestation des professionnels sur la plate-forme une fois de retour dans la vallée. Une option que propose Direct Mountain, qui s'explique : « Les commentaires sont libres, il n'y a pas de système de notation par exemple. Le client peut exprimer son ressenti comme il le souhaite. Les pros ont, bien sûr, un droit de réponse aux remarques qui leur sont faites. » A Kazaden, impossible de commenter ou noter la prestation, mais les clients sont contactés après l'activité « pour savoir si tout c'est bien déroulé et comment améliorer notre service. »

Le fait de commenter la course et les capacités du guide de date pas d'hier. AU XIXe siècle, par exemple, les guides de l'Oisans se voyaient remettre par la Société des touristes du Dauphiné un livret dans lequel les clients pouvaient laisser, à l'issue de la course, un commentaire à propos du guide ; une pratique généralisée à la plupart des vallées et qui ne disparaîtra vraiment qu'après la création d'un diplôme national. Le principe avait sa légitimité, puisque ce livret était alors la seule garantie pour les clients d'avoir affaire à un professionnel compétent. Mais, désormais, les guides sont tous formés au sein de la même école, l’École nationale de ski et d'alpinisme, et ne peuvent exercer sans le diplôme d'état qu'elle délivre. Et c'est pourquoi la possibilité de commenter sur Internet la prestation des guides laisse certains sceptiques, voire franchement inquiets. Ainsi Nicolas se demande-t-il « si on peut raisonnablement laisser au client néophyte ou non autonome le soin de juger de la prestation du guide professionnel. » Derrière ce questionnement, il y a la crainte, pour le guide, d'être poussé à sacrifier la sécurité sur l'autel de la satisfaction des desiderata du client dans l'espoir de ne pas voir son profil saboté par un mauvais retour. « La profession se remet continuellement en question sur tous les "pièges" qui peuvent mener le guide à l'accident, explique Nicolas. Est-il opportun que le guide stocke dans une partie plus ou moins consciente de son cerveau la pression de la note ? Est-ce que cela ne risque pas de pousser le guide à placer en tête de ses priorités la satisfaction du client alors que son objectif premier doit rester la sécurité ? »

Yannick Vallençant, du SIM, montre la même inquiétude : « La qualité d'un guide, telle que perçue par le client, est une notion très subjective. Quand une sortie se passe mal, ou que c'est vécu comme tel par le client, ce n'est pas forcément que le guide est "nul". Ça peut être aussi du fait du client, ou d'une alchimie humaine qui n'a pas opéré dans la cordée. Donner le pouvoir à un client néophyte, ou mal luné, ou ayant vécu une expérience ponctuelle malheureuse, de détruire par un commentaire assassin la crédibilité professionnelle d'un guide, c'est aussi injuste que dangereux. »

Sylvain Hortoland, de Direct Mountain, explique, lui, que « les commentaires ne respectant pas certaines règles (injures, etc.) sont supprimés. » Et pour les commentaires négatifs ? « C'est ne s'est pas encore produit, assure-t-il. Je pense que je gèrerai alors au cas par cas. » Pour le guide de l'Isère inscrit sur Kazaden que nous avons interrogé, les commentaires ne représentant pas un vrai problème : « Quelle différence avec le livre d'or que la majorité des sites Internet de guides possèdent ? Oui, il ne faut pas tomber dans l'extrême, mais c'est à chaque guide de faire son travail, de la meilleure des manières, pour la sécurité et le plaisir et non pour la note. » Du côté du SNGM, on est aussi moins inquiets : « L'évaluation réciproque fait partie de l'économie collaborative. Les guides n'ont pas peur d'être évalués par les clients. La fidélisation des clients est très forte. »

Au-delà de la sécurité, la notation des guides pose aussi à certains un problème d'éthique et d'image. Et ils s'interrogent sur la transformation progressive de la vision du métier, du client et de la montagne que cela peut induire. « Cette façon de procéder confine le client dans un rôle de consommateur et le guide dans celui de produit qui se doit d'être conforme avec le descriptif, déplore Nicolas. Le guide n'est-t-il pas avant tout celui qui transmet à ses clients une culture de la montagne et des risques ? » Pour Yannick Vallençant, « un guide n'est pas un lit d’hôpital ni un plat cuisiné et l'aventure ne peut pas être un simple produit de grande consommation. »

Vers la fin des bureaux des guides ?

Apparus au début du XIXe siècle, les bureaux des guides sont-ils menacés pas le développement de ces plates-formes virtuelles qui, dans l'absolu, répondent au même principe, à savoir celui de mettre en relation des clients avec des professionnels de la montagne ? Là encore, les avis sont partagés. Sylvain Hortoland, de Direct Mountain, répond par la négative : « Les plates-formes de mise en relation viennent combler un vide, une demande dans les recherches Internet. Les bureaux ont une autre fonction, et je pense que les deux sont complémentaires. » Même réponse chez Kazaden, qui va plus loin en affirmant que les plates-formes sont susceptibles de booster aussi l'activité desdits bureaux : « Nous sommes pour ces bureaux un relais de communication performant, qui permet d'augmenter leur volume d'activité en nous déléguant le travail concernant le marketing digital (certains n'ont pas de site Internet à la hauteur de leurs prestations). Nous travaillons d'ailleurs avec un certain nombre de bureaux de guides, que nous accompagnons dans leur transition digitale et qui font le test de nouvelles offres via notre plate-forme. » Un avis que partage d'ailleurs le SNGM, qui pense que « les compagnies et les bureaux ont parfaitement les moyens d'intégrer cette dimension dans leur stratégie de commercialisation, en valorisant leurs atouts. » Pourvu, du moins, que les professionnels ne restent pas « les bras croisés face au phénomène. »

L'appréciation est, en revanche, quelque peu différente au SIM, où Yannick Vallençant craint « un risque d'affaiblissement ou de disparition [des bureaux] si ces plates-formes se révèlent capables de fournir plus de travail, plus intéressant ou mieux rémunéré que les compagnies ou les bureaux. » Mais, selon lui, c'est justement « aux compagnies, aux bureaux, aux structures en général d'évoluer, de se mobiliser pour avoir des idées neuves, pour développer et mettre en valeur des atouts spécifiques et pour motiver leurs membres à y rester. » Le président du SIM a d'ailleurs saisi l'occasion de notre entretien pour évoquer brièvement un projet sur lequel son syndicat travaille depuis plusieurs mois : « Le SIM finance et travaille au développement d'un projet Web ambitieux depuis plusieurs mois. On pourra en dire plus dans quelque temps, mais sachez déjà que ce projet d'intérêt général sera ouvert à tous les professionnels de la montagne, sans aucune discrimination, quel que soit leur syndicat, dans la volonté de défendre vigoureusement une certaine vision de la montagne, de l'aventure et de la noblesse de nos métiers. » Le SNGM, lui, pense que là n'est pas le rôle premier du syndicat : « Notre profession est organisée au niveau national, mais aussi en structures locales. Dans le cadre de la subsidiarité, la commercialisation relève des structures locales. Le syndicat peut faire un travail de veille, de réflexion et de coordination. »

Pour Nicolas, si ces plates-formes peuvent peut-être, à terme, « porter un coup dur de plus aux collectifs de guides, » reste qu'elles ressemblent peu à un bureau traditionnel : « Les plates-formes contribuent à diluer l'image des guides aux yeux du grand public qui, en arrivant chez elles, a l'impression d'arriver dans un gigantesque bureau des guides alors qu'il ne s'agit que d'un magasin comme un autre où l'on vend du guide ! » Pour lui, « on s'éloigne beaucoup de l'identité historique des bureaux de guides ou de l'approche artisanale, au sens noble du terme, des indépendants. »

Si, donc, la « révolution digitale » bat son plein, les transformations qu'elle opère dans le milieu des activités de montagne ne relèvent assurément pas de l'évidence pour tous ses acteurs, partagés entre le besoin d'être présents sur le Net -qui, de nos jours, peut aussi résonner comme une injonction- et l'urgence qu'il y a à défendre un métier. Le débat, lui, n'a sans doute pas fini d'animer les soirées dans les refuges ou aux bivouacs, tout près du poêle ou du réchaud. Là où le téléphone, aussi « smart » soit-il, affiche souvent « PAS DE RÉSEAU ».

 

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